Décision - RG n°20-05.140 | Cour de cassation (2024)

Motifs de la décision

L'article L 1232-1 du Code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave privative du préavis prévu à l'article L 1234-1 du même Code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l'employeur. Il appartient à ce dernier d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés au salarié dans sa lettre de licenciement, d'autre part que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise.

En tout état de cause, selon l'article L 1235-1 du code du travail, 'si un doute subsiste, il profite au salarié.'

En l'espèce, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige énonce les griefs suivants :

' ...Le 29 septembre dernier, au motif que Mme L.A. résidente accueillie au sein de notre établissem*nt, s'aggripait trop à d'autres de nos résidents, vous avez pris l'initiative de lui imposer une importante contention. Ainsi, vous avez bloqué chacune de ses mains avec des bandes et du sparadrap enfilant par dessus des gants de toilette que vous avez également fixés avec du sparadrap. Comme si cela ne suffisait pas, vous avez ensuite retourné les manches du pull de notre résidente sur ses mains et les avez fixées, comme précédemment avec du sparadrap. Ensuite, vous avez enfermé à clef Mme L.A. dans sa chambre... De plus, vous avez unilatéralement et sans en référer à quiconque pris la décision d'imposer cette contention à cette résidente et ce bien qu'aucune prescription médicale ne le prévoyait....Au surplus de la situation susmentionnée qui justifie à elle seule la mesure de licenciement pour faute grave prise à votre encontre, vous aviez également fait subir un lavement à M. [P], résident de l'unité de vie protégée, là encore sans aucune prescription médicale ne l'ait prévu et sans avoir consulté l'équipe médicale au préalable... '

Sur le premier grief, la matérialité des faits survenus le 29 septembre 2018 n'est pas contestée. Mme [L] [F] expose qu'elle a été contrainte de prendre des mesures de contention en urgence pour prévenir le comportement dangereux de la résidente, Mme [O], atteinte de la maladie d'Alzheimer et devenue très agressive à l'égard des autres résidents, alors qu'elle était l'unique membre du personnel présent dans l'unité ce jour là.

Il résulte de l'enquête pénale diligentée sur dénonciation des faits au procureur de la République par l'établissem*nt que Mme [L] [F] qui travaillait depuis 4 ans dans l'unité fermée Alzheimer de l'établissem*nt sans aucun incident signalé avec les patients, s'est trouvée confrontée à des actes de violence commis par Mme [O], âgée de 86 ans et atteinte de la maladie d'Alzheimer, d'abord à son égard puisqu'elle avait tenté de la frapper et, ensuite, sur une autre résidente à qui elle avait arraché un ongle de la main aux 3/4 la veille et qui, de manière générale, s'agrippait aux autres résidents en les importunant et en les blessant . Dans ce contexte, elle a pris la décision de lui tirer les deux manches de son pull jusqu'au bout des mains et de les fermer avec du sparadrap pour pouvoir s'occuper des autres résidents. Compte tenu de l'agressivité persistante de Mme [O], elle l'a enfermée dans sa chambre le temps de sa pause entre 14 et 15h en demandant à l'aide soignante de la surveiller. Selon cette dernière, Mme [O] aurait pu ouvrir la porte de sa chambre de l'intérieur si elle avait eu les mains libérées.

Mme [L] [F] a procédé lors de sa pause à la transmission des informations sur la situation de Mme [O] à l'autre infirmière qui est venue lui ôter les sparadraps et lui ouvrir la porte de sa chambre. L'intéressée qui était restée isolée pendant environ 30 minutes était alors calmée et a repris sa déambulation.

Par des motifs qui s'imposent à la juridiction prud'homale en raison de l'autorité de la chose jugée du pénal sur le civil, la chambre des appels correctionnels a relevé que 'si la salariée a reconnu avoir pris une décision malheureuse en bandant les mains de cette résidente agressive avec du sparadrap après avoir enveloppé les mains d'un gant et les avoir recouvertes des manches du pull alors que cette dernière essayait de la mordre et de la taper et qu'elle même tentait de soigner une autre patiente, l'élément intentionnel de l'infraction n'est pas caractérisé en ce que la prévenue qui était seule à gérer l'unité Alzheimer un samedi, sans avoir reçu de formation adéquate, sans protocole établi par l'établissem*nt relativement à la prise en charge d'une patiente en crise, a agi dans l'urgence, en présence d'une aide soignante peu expérimentée, sans dissimuler son comportement qui était, en tout état de cause, dénué d'intention malveillante et de volonté de porter atteinte à l'intégrité de Mme [O], laquelle n'a visiblement pas souffert de la contention qu'elle a subie...'

Il en résulte que les actes imputables à la salariée, certes inappropriés comme celle-ci l'a reconnu devant les policiers, s'inscrivent dans une situation d'urgence et de déficit de moyens et ont été accomplis dans un souci de protection des personnes et ne constituent pas dés lors des manquements rendant impossible la poursuite du contrat de travail ou justifiant une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Sur le deuxième grief, Mme [L] [F] a reconnu avoir pratiqué un lavement sur la personne de M. [S], le 28 septembre 2018, sans prescription médicale, ce pour le soulager. Ce manquement est matériellement établi ; il ne peut, cependant, motiver à lui seul un licenciement pour faute grave ou cause réelle et sérieuse dés lors que le produit utilisé est délivré sans prescription médicale, qu'il est dénué de nocivité et que l'employeur ne contredit pas la salariée lorsqu'elle affirme que c'était une pratique admise dans l'établissem*nt laissée à l'appréciation des infirmières.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a alloué à la salariée une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, une indemnité légale de licenciement et une indemnité pour perte injustifiée de son emploi dont les montants ont été justement évalués.

Sur les autres demandes

L'équité commande d'allouer à Mme [L] [F] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Thémis les Lis supportera la charge des dépens.

Décision - RG n°20-05.140 | Cour de cassation (2024)
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